L’herbier du Conservatoire Botanique National de Mascarin : une collection de plantes vasculaires en guise d’outils scientifique et pédagogique
Généralités
Que désigne le terme « herbier » ?
En botanique, le terme « herbier » désigne depuis le XVIIIème siècle une collection d’échantillons végétaux préalablement pressés et séchés, puis montés sous forme de « planches » dûment étiquetées. Il s’agit donc d’une collection de plantes séchées, qui peut concerner des plantes vasculaires, des bryophytes, des lichens, des algues ou encore des champignons. Historiquement, Luca GHINI (1500 – 1556), un professeur de botanique italien, aurait été le premier à faire sécher des plantes et à les monter dans le but de constituer des échantillons de référence.
Un herbier peut être complété par d’autres types de collections telles que :
- des échantillons conservés dans de l’alcool qui conservent ainsi leur taille et leur forme (cas des fleurs d’orchidées par exemple),
- des parties de végétal ou des coupes de tissus végétaux montées sur des lames de verre en vue d’observations microscopiques,
- des échantillons végétaux déshydratés et conservés dans du gel de silice pour des études génétiques,
- des collections de semences (= séminothèque), de fruits (= carpothèque) ou des essences de bois (= xylothèque).
Un herbier peut également désigner l’établissement ou l’institution qui assure la conservation d’une telle collection. Il existe un répertoire international listant les différents herbiers mondiaux de référence ainsi que les spécialistes qui y travaillent : l’Index herbariorum. En 2008, ce listing rassemblait 3373 herbiers et 10368 noms de spécialistes. Ces établissements peuvent être publics ou privés et sont d’importance variable en fonction de la taille et de l’importance des collections qu’ils rassemblent (présence de planches anciennes, de planches « types » ayant servies de référence afin de nommer un taxon…). Parmi les principaux herbiers de plantes vasculaires, citons par exemple l’herbier du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Démarré il y a plusieurs siècles, il compte aujourd’hui plus de 8 millions de spécimens illustrant 290 000 des 320 000 espèces vasculaires à travers le monde !
A quoi sert un herbier ?
Un herbier est donc à la fois une banque de données, un lieu de stockage d’information sous forme d’échantillons botaniques et d’étiquettes et un musée. Bien que constitué de planches de végétaux morts, un herbier est paradoxalement un outil vivant qui ne cesse de s’enrichir et d’évoluer grâce à un travail collectif, constituant un véritable témoin de l’évolution des connaissances. Il répond à de multiples vocations.
D’un point de vue scientifique, les échantillons d’herbier et les étiquettes qui leur sont associées permettent de :
- servir de référence pour la description des espèces végétales. Ils permettent de s’affranchir de la subjectivité de certaines descriptions et de conserver des détails qui n’auraient pas été notés. Les herbiers sont donc essentiels à l'étude taxinomique des plantes (de leurs caractères botaniques) permettant la détermination et la comparaison de spécimens conduisant à la publication d'un nouveau taxon ou, au contraire, de détecter un synonyme superflu contribuant ainsi à la stabilisation de la nomenclature,
- fournir des informations sur la répartition géographique et altitudinale du taxon sur un territoire donné grâce aux annotations portant sur l’endroit de la collecte (commune, localité, altitude, coordonnées GPS éventuellement),
- apporter de la connaissance sur les milieux et les habitats au sein desquels prend place le taxon grâce aux données phytogéographiques associées (milieu, habitat),
- préciser les périodes de floraison et de fructification d’un taxon donné en compilant les informations liées à la phénologie du taxon collecté (date de collecte et état phénologique),
- constituer parfois le dernier témoignage dans le cas de taxons disparus, sachant qu’en bonnes conditions une planche d’herbier peut se conserver plusieurs centaines d’années.
La synthèse de toutes ces informations et les illustrations que l’on peut réaliser à partir des échantillons végétaux sont ensuite publiées dans des flores regroupant toutes les espèces d’une même famille ou d’une région donnée. En plus de fournir un outil en systématique et en biologie pour la description et la connaissance des espèces végétales, un herbier peut être utilisé dans des domaines tels que la biologie de la conservation, l’aménagement du territoire ou encore au niveau de nombreux secteurs liés à la recherche (évolution du vivant, santé et médecine [cas des plantes médicinales], génétique…
D’un point de vue pédagogique, un herbier constitue un excellent outil éducatif mêlant rigueur scientifique, sens de l’observation, esprit d’analyse et travail manuel. En effet, les diverses étapes de constitution d’un herbier (récolte et prise de données sur le terrain, phases de mise sous presse, de séchage, de montage et de renseignements de l’étiquette) font intervenir des phases in situ et ex situ tout à fait complémentaires et pour lesquelles il convient de faire preuve d’une grande rigueur afin de garantir la qualité des échantillons montés et celle de l’information figurant sur leur étiquette. Réalisable aussi bien par des adultes que par des enfants, des plus expérimentés aux néophytes, la démarche de constituer un herbier est éducative à plusieurs titres (dynamique de projet, travail collectif, consignes à suivre, travail nécessitant soin et patience) et constitue un outil de sensibilisation à l’environnement et de reconnaissance des taxons absolument extraordinaire et peu onéreux.
L’HERBIER DE LA FLORE VASCULAIRE DE LA RÉUNION DU CONSERVATOIRE BOTANIQUE NATIONAL DE MASCARIN
Plus récent que l’Herbier Universitaire de la Réunion (créé dans les années 1960 sous l’impulsion du botaniste Thérésien CADET et disposant aujourd’hui d’environ 9000 planches référencées regroupant 2000 taxons de la flore vasculaire), l’herbier du Conservatoire Botanique National de Mascarin a vu le jour en 2002. Il renferme cependant une importante source de données qui ne cesse d’être complétée grâce aux diverses missions de terrain du CBNM et dont l’utilisation dans la description des espèces par les botanistes de la Réunion est quasi quotidienne. Encore non référencé au niveau de l’Index herbariorum et ne disposant d’aucun financement spécifique, l’herbier du CBNM constitue pour le moment un herbier de travail tout à fait en adéquation avec les missions de connaissance et de conservation de la flore et des habitats développées par le CBNM et fortement lié à la réalisation et à la réactualisation de l’Index de la Flore Vasculaire de la Réunion. Cet herbier est également ouvert sur demande au public (professionnel et naturalistes) qui souhaite consulter nos diverses planches montées.
Les différentes étapes
De façon tout à fait classique, l’herbier du CBNM se constitue selon différentes étapes.
1/ La collecte des échantillons végétaux in situ
Les botanistes du CBNM procèdent à la collecte du matériel végétal à herboriser au cours des diverses missions de terrain qui leur sont attribuées. Le matériel végétal peut être récolté pour diverses raisons : taxon dont la détermination est incertaine (voire inconnue) sur le terrain et qui nécessitera d’être déterminé à l’aide de flores de référence ; taxon absent de l’herbier du CBNM ; taxon déjà présent dans l’herbier mais présent sur une nouvelle localité ou présentant des caractères intéressants (fleurs, fruits, etc.)…
Il est important de prévoir au minimum le matériel suivant : sachets plastiques de collecte ou presse de terrain, étiquettes d’herbier ou carnet de notes, GPS et altimètre, couteau ou sécateur…
Lors de la phase de collecte, il est fondamental de respecter quelques règles de base :
- ne pas collecter un taxon lorsque sa population est réduite à quelques individus,
- collecter un échantillon informatif (présence de fleurs et / ou de fruits, organes entiers…) et représentatif de l’espèce,
- pratiquer éventuellement des réplicats de collecte,
- prendre des notes à propos des informations nécessaires au remplissage de l’étiquette d’herbier (nom du taxon, collecteur, date, commune, localité, coordonnées GPS et altitude, habitat…) ainsi que des notes relatives à la morphologie et à l’écologie du taxon in situ (couleur des organes, taille, comportement…).
Chaque échantillon collecté doit pouvoir être précisément associé à son étiquette une fois de retour au laboratoire.
Echantillon (Juncus sp.) collecté en vue de sa détermination et accompagné de son étiquette de collecte.
2/ Le séchage des échantillons collectés
Puis vient la phase de séchage qui conditionne la qualité de présentation des planches d’herbier et leur durée de vie.
Dans un premier temps, chaque échantillon, et l’étiquette qui lui est associé, sont délicatement étalés sur une feuille de papier absorbant (qui une fois pliée a un format A3), elle même disposée dans une feuille de papier journal.
Ces feuillets contenant les échantillons doivent alors être pressés et séchés. Au CBNM, nous avons fabriqué une caisse de séchage en contreplaqué. Il s’agit d’un tunnel de 130 cm de long, 53 cm de large et de 70 cm de haut. A une extrémité, un ventilateur est orienté vers les échantillons à sécher. Les feuillets contenant les échantillons sont disposés à l’autre extrémité et ils sont pressés grâce à du poids posé dessus. Un tel système permet une ventilation efficace et continue des échantillons à sécher, ce qui évite tout risque de moisissure de ces derniers sans avoir à renouveler les papiers absorbants et les journaux.
Pour un échantillon classique (pas trop gorgé en eau, pas trop épais), il faut compter environ une semaine de séchage.
Vue globale de la caisse de séchage
Vue du ventilateur de la caisse de séchage
Vue de l'intérieur de la caisse de séchage
3/ Le montage des planches séchées et de leurs étiquettes
Une fois l’échantillon séché, il faut procéder à la phase de montage. Ce travail, particulièrement minutieux, consiste à disposer l’échantillon sur du papier de montage spécialement conçu pour des planches d’herbier (poids de 250 g/m², format de 21,2 x 41,9 cm, teinte claire, pH neutre). L’opérateur va alors disposer délicatement l’échantillon séché sur la planche de montage de façon à ce que celui-ci s’inscrive bien dans les dimensions maximales du papier et qu’il soit le plus étalé possible (éviter que des organes se superposent…). L’échantillon sera alors fixé sur la planche grâce à de petites bandes de scotch spécialement conçues pour ce type de travail. Dans le cas de gros échantillons, il conviendra alors de les séparer en plusieurs morceaux et de les monter sur autant de papiers qu’il sera nécessaire.
Puis, il est nécessaire d’associer l’étiquette contenant les informations relatives au taxon et à sa collecte sur le papier de montage. Une fois les données de terrain révisées voire complétées, l’étiquette est saisie sous format numérique, imprimée et apposée systématiquement en bas à droite du papier de montage.
Ensuite, chaque planche montée est protégée à l’aide d’une chemise ‘espèce’ constituée d’un papier de 80 g/m² et de format 41,9 x 58,4 cm plié en deux dans le sens de sa largeur.
Enfin, dans le cas où un taxon est représenté par différentes collectes (réplicats), l’ensemble des papiers de montage et des chemises ‘espèce’ sont eux-mêmes protégés par une chemise ‘genre’ constituée par du papier de 170 g/m² et de format 41,9 x 58,4 cm plié en deux dans le sens de sa largeur.
Détail d’une étiquette d’herbier (Begonia diadema)
Scan d’un échantillon de Begonia diadema et de son étiquette montés en une planche d’herbier
Scans d’un échantillon de fougère (Pseudophegopteris cruciata) de grande taille monté sur deux planches d’herbier (partie basale à gauche et partie apicale à droite)
L’ensemble des planches d’herbier ainsi constituées sont alors abritées dans un local conditionné (température maîtrisée par un système de climatisation) afin d’éviter au mieux tout pourrissement, attaques fongiques et ravages causés par la microfaune. D’ailleurs, une fois par an, cette pièce est traitée à l’aide de fumigateurs et les planches présentant des signes d’attaque sont placées quelques jours dans un congélateur à froid sec.
Les planches d’herbier du CBNM sont rangées sur des étagères métalliques adaptées à la dimension des planches et classées par famille botanique.
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Vue de l’intérieur du local d’herbier du CBNM
Vue du classement des planches d’herbier par famille botanique (Myrsinaceae)
Bilan chiffré (au 14/08/2018)
Depuis son année de création (2001), 4936 planches d’herbier ont été montées (soit en moyenne 275 planches montées par an).
Au total, 1632 taxons différents sont représentés au sein de l’herbier du CBNM. Ainsi, en moyenne, un taxon est monté en trois exemplaires, chacun étant généralement distinct de par son origine géographique de collecte. 137 familles botaniques sont représentées dans l’herbier du CBNM sur 199 familles référencées à La Réunion.
Parmi cette collection, on peut également retrouver des dons de parts d'herbier plus anciens (par exemple, donation par le Frère GIMALAC Albert de 154 parts datant de 1970).
Nombre de taxons montés en planche d’herbier par année
Nombre de planches d’herbier montées par année
Perspectives
Les perspectives concernant l’herbier du CBNM pour les mois et années à venir sont nombreuses :
- Poursuite des scans et de la mise en ligne de l’ensemble des planches d’herbier du CBNM ; une première série de scans et de publication en ligne a été effectuée courant 2011 grâce à l’intervention d’une entreprise spécialisée.
- Poursuite de la gestion et du développement de l'herbier de travail du CBNM à la Réunion : récolte, conditionnement, montage, stockage et informatisation ; entretien des locaux et maintien en état de l’herbier.
- Développement d’un herbier consacré à la flore vasculaire des îles Eparses (Les Glorieuses, Europa, Juan de Nova et Tromelin) suite aux diverses collectes de terrain réalisées (et à venir) sur ces territoires insulaires, étudiées par le CBNM dans le cadre de son agrément par le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable.
- Initiation d’un herbier de travail sur les bryophytes (= mousses). Cet objectif implique un travail en partenariat avec l’Université de la Réunion : le CBNM étant chargé de la récolte in situ de matériel végétal ainsi que de son conditionnement, Claudine AH-PENG étant chargée de la détermination des échantillons (en collaboration avec Jacques BARDAT et Pierre STAMENOFF). Cet herbier des bryophytes sera en lien avec le travail actuellement mené sur l’Index des bryophytes de la Réunion.
- Initiation d'un herbier de travail sur les lichens de La Réunion, des îles Eparses et de Mayotte. Cet objectif implique un travail en partenariat, le CBNM-CPIE Mascarin étant en chargé de la récolte in situ de matériel végétal ainsi que de son conditionnement, Rémy PONCET lichenologue se chargera de la détermination des échantillions.
- Poursuite de la collaboration technique engagée avec l’herbier de Mayotte gérée par l’antenne du CBNM (anciennement gestion DAAF Mayotte).
- Mise en place d’une collaboration avec la base de données SONNERAT du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris, le principal herbier existant en France.
Contact :
Pour toute information supplémentaire, merci de contacter :
Johnny FÉRARD
Botaniste, responsable de l’herbier du CBNM
Conservatoire Botanique National de Mascarin
2, rue du Père Georges - Les Colimaçons
97436 Saint-Leu - Île de la Réunion - FRANCE
Tél. : 0262 24 03 24 (ou + 262 262 24 03 24)
Fax. : 0262 24 85 63 (ou + 262 262 24 85 63)
E-mail : jferard_at_cbnm.org